Un écrivain est, le plus clair du temps, un navigateur solitaire. Pourtant sa création se frotte sans cesse au quotidien, à la foule et à la cité, elle s’y nourrit, se teinte d'expérience vécue et d’émotions qui permettent à l’histoire de se construire dans et avec le temps affectif, suivant son propre rythme, au jour le jour. Un joyeux tressage entre un imaginaire et la vie, concrète et tangible, une vie qui se dilate ou s'émiette, s'étale ou se confettise, graines d'instants en graines d'instants - couleurs, sons, odeurs, cris et écrits - dans le récit.
La création collective en atelier se soumet à une tout autre temporalité et contraintes qui s'apparentent à celle d'un laboratoire. Dans la vie créative de l'écrivain, la plupart de ses idées évoluent en liberté dans un environnement "sauvage" (dans le cas idéal où il parvient à faire abstraction des murs formatés que lui imposent la société et ses propres inhibitions). Dans une classe, l'histoire inventée va devoir le plus souvent compter sur des idées captives, un peu comme dans une volière ; elles n'ont pas le temps de s'ébattre, de courir, de prendre le temps d’apprendre à voler et de se frotter à la vie. Tout l'enjeu de l'écrivain est donc de ruser pour que les idées se libèrent. Mais qu'on ne s'y trompe pas, il reste toujours un arrière-goût d'artifice. Il faut user de déclencheurs, provoquer l'envol, d’un cri ou d’une poignée de grains. On le sait, les animaux en captivité se reproduisent moins aisément, il en est de même pour les idées.Il existe pourtant des moments où se produisent d'étranges étincelles, où la créativité des enfants s’émancipe. En général, ces moments échappent totalement à l’écrivain qui les accompagne. Ce sont des instants aussi foudroyants qu’imprévisibles, où les enfants disposent suffisamment de confiance en eux, de désirs et « d’outils » (si tant est qu’il en existe) pour pouvoir créer sur le papier ce que leur imaginaire propose. Comme d'apprentis musiciens soudain affranchis des gammes, découvrant le plaisir de l’improvisation. Là, ils ne se préoccupent plus de construction, de syntaxe ni de rimes ; ils ont juste l’œil sur l’idée, comme un promeneur prend le temps d’observer un oiseau sur le point de voler. Ce sont des instants magiques.
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